De mon expérience personnelle

Je commençais tout juste mon semestre au service des urgences du CHU, et on m’a vite appris ce que c’était que le syndrôme méditerranéen.

  Pour résumer, c’est ainsi que quelques urgentistes désignent les patients qui semblent exagérer leurs symptômes, qui se montrent excessivement inquiets et démonstratifs, et généralement pour rien.

Bien souvent, ce “syndrôme” est utilisé pour décrire les populations issues du Maghreb.

J’étais très fier d’apprendre ce nouveau terme ! Grâce à ce vocabulaire pseudo-technique, j’allais à la fois pouvoir me moquer des patients qui venaient aux urgences “pour rien” et marquer mon appartenance au monde médical.

Ce n’est qu’au bout de quelques mois que j’ai eu le rappel à l’ordre que mérite l’emploi de cette expression. Je devais transmettre une patiente à ma chef :

  • Donc, c’est une patiente qui vient pour douleurs abdominales… mais c’est un syndrôme méditéranéen…
  • Attends… Tu as dis quoi là ?
  • Tu ne redis jamais ce genre de chose devant moi, c’est compris ?

Et c’est seulement à ce moment précis, en regardant ma chef marocaine, que j’ai compris le sens profond de ce que je disais.

Un biais raciste

  Avec le recul, je réalise qu’au-delà de la toxicité de se moquer de ses propres patients, ce mot est chargé de racisme. Ça ne veut pas dire haine, ni même volonté de nuire ; mais ça veut tout de même dire que le patient est traité différemment à cause d’un préjugé basé sur son apparence.

Peut être que les personnes issus de population venant de l’autre côté de la méditerranée ont dans leur culture un autre rapport à la maladie et à la souffrance. Peut être qu’ils montrent d’avantage leurs peurs et leurs inquiétudes. Peut-être qu’il existe une vraie et honnête incompréhension entre eux et les soignants.
Mais de nombreux patients d’autres cultures ont les mêmes attitudes. Et ceux-ci sont pourtant désignés par le terme plus sobre d’hypocondriaques.

  Je comprends bien qu’il soit difficile de s’entendre qualifié de raciste. Cette accusation est souvent brandie pour transformer un débat en un procès. Pourtant, dans le cadre du syndrome méditerranéen, c’est bel et bien les préjugés raciaux qui sont à l’œuvre. On l’appel arrogamment “syndrome”, donnant au terme un faux-air de légitimité médicale, mais c’est de la discrimination.

On ne compte plus le nombre de drames où un patient (et plus souvent encore : une patiente) n’a pas été pris au sérieux, n’a pas été soigné à temps, et l’a payé le prix fort.12 Cela touche toutes les populations, mais les patients du continent africain ont à affronter ce biais en plus de tous les autres.

  D’un autre côté, il est si difficile de prendre en charge de façon équitable chaque patient. Une fois fatigué et surchargé de travail, on est forcément influencé par nos biais internes. Plus encore quand ceux-ci sont renforcés par le cadre même dans lequel on évolue. Plus encore quand on a le sentiment de perdre notre temps à examiner quelqu’un qui exagère ses symptômes.

Le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient leur origine, leurs moeurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard.

Il doit leur apporter son concours en toutes circonstances.

Il ne doit jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne examinée. Code de Déontologie médicale, Article 7 3

  Sauf que c’est précisément notre métier que de soigner équitablement chaque patient. Nos émotions et nos préjugés sont une explication à nos biais, certainement pas une excuse. Et personne ne pourra soutenir sincèrement que ces biais ont leur place dans la pratique de la médecine.

Reconnaître le syndrome méditerranéen pour ce qu’il est, un jugement raciste ancré dans nos institutions qui nuit à la qualité des soins, est la première chose à faire pour s’en affranchir.

La seconde, c’est d’appliquer ce que nous apprenons pendant nos études : être systématiques ; procéder par une analyse uniquement basée sur les éléments pertinents au diagnostic ; évaluer chaque hypothèse selon leur gravité et leur probabilité ; et dans le doute, se donner les moyens de chercher et traiter le plus grave.
Peu importe que le patient semble exagérer sa dyspnée4 ou non : le symptôme est “dyspnée”. Je ne peux me rassurer sur la gravité de ce signe qu’une fois que je l’ai soigneusement examiné.
  Où est la place au jugement de valeur dans une recherche diagnostic bien conduite ? Nulle part.

Et après ?

  J’espère, je crois, que ce biais est en voie de disparition. Tout d’abord, c’est que le concept de syndrome méditerranéen est maintenant connu du grand public et reconnu comme réel par les soignants5. Ensuite, ces patients maghrébins sont de plus en plus nombreux, donnant du poids à leurs plaintes, forçant les soignants à se familiariser avec leurs multiples façons de communiquer. Les soignants de cultures africaines sont de plus en plus nombreux, apportant le point de vue de l’autre de notre côté de la blouse blanche. Les témoignages de mal praxis s’accumulent, forçant la communauté médicale à se remettre en question.

Et d’autres biais assimilés sont à éradiquer de la même façon. Les femmes sont parfois traitées comme supportant mal la douleur. Les patients les plus jeunes sont parfois considérés comme capricieux et immatures. Les plus âgés comme séniles, et dont la pudeur et la dignité devient trop rapidement secondaire. Les patients obèses comme paresseux. Les patients psychiatriques comme des causes perdues d’avance.

Ça va être long que de redresser tous ces torts… Mais il faut garder en tête que même si tous ces drames seront toujours trop fréquents, ils ne sont pas systématiques : dans la quasi-totalité des cas, on soigne les gens. Les erreurs médicales de discrimination sont à juste titre incroyablement choquantes, mais heureusement rarissimes. Et puis, la communauté médicale est au travail. Nous sommes de plus en plus à rejetter ces mentalités. Elles sont condamnées par tous. Certains travaillent même activement à l’étudier, la comprendre, pour mieux agir dessus.6

En tous cas, je suis heureux d’avoir été rappelé à l’ordre de cette façon. Ça a été une douche froide qui me revient en tête à chaque fois que mes patients me font douter du sérieux de leurs plaintes.

Pour aller plus loin :

Myriam Dergham, Rodolphe Charles. Le «syndrome méditerranéen» : une stigmatisation par catégorisation des conduites de maladies. Médecine. 2020;16(10):460-464. doi:10.1684/med.2020.606 (article payant 🔒)


  1. Affaire Naomi Musenga. 👉 Source : Nouvel Obs ↩︎

  2. deux autres affaires similaires 👉 Source : Allodocteurs.fr ↩︎

  3. Code de déontologie médicale, article 7. 👉 Source : legifrance.fr ↩︎

  4. Difficultés respiratoires. ↩︎

  5. Williams DR, Lawrence JA, Davis BA . Racism and Health: Evidence and Needed Research. Annu Rev Public Health. 2019 Apr 1;40:105-125. doi: 10.1146/annurev-publhealth-040218-043750. Epub 2019 Feb 2. PMID: 30601726; PMCID: PMC6532402. (article en anglais 🇬🇧) ↩︎

  6. Myriam Dergham est un exemple inspirant. Penchez-vous sur son parcours. 👉 Source : Egora.fr ↩︎