Parfois, dans nos pratiques, nous donnons aux patients des conseils qu’ils préféreraient ne pas recevoir.
Récemment, j’ai du contre-indiquer à une enfant un voyage en vacances qui lui tenait profondément à cœur, mais que son état de santé ne lui permettrait pas de supporter. Elle m’a ensuite envoyé un e-mail en me demandant ce qu’elle pouvait faire pour sa santé, afin de guérir assez pour que je l’autorise à faire ce voyage.
Même si son intention de guérir est heureuse, et qu’elle cherche sincèrement à se saisir des conseils qu’on peut lui donner, c’est avec tristesse que j’ai reçu ce message.
Car ce qui a échappé à cette jeune fille (comme cela échappe à tant de nos patients), c’est que je n’ai pas le pouvoir, et encore moins l’intention d’interdire quoi que ce soit.
Et de la même façon, je n’ai pas le pouvoir de l’autoriser.
En tant que médecin, nous offrons notre conseil ; nous proposons notre expertise ; nous recommandons. L’exercice de la médecine est en fait l’art d’interpréter les signaux du corps et de les traduire en messages, avant d’y offrir une réponse.
Ces signaux, nous les appelons “symptômes” ; ces messages, “maladies” ; ces réponses, “traitements”.
Parfois, cet interprétariat va contre les souhaits du patient. C’est plus fréquent encore quand le corps semblait silencieux, que les symptômes sont discrets, et que les traitements sont synonymes de privation. La traduction du message par le médecin peut alors être vécue comme une trahison ; soit par le médecin apportant de mauvaises nouvelles ; soit du corps lui-même, imposant brutalement ses besoins.
Lorsque je contre indique ces vacances à cette jeune fille, c’est parce que son corps exprime une souffrance, un état de fragilité qui signifie qu’elle ne pourra pas supporter l’effort du voyage.
Ce n’est pas ma décision qui rend impossible cet effort, mais la réalité du corps, l’exigence de sa biologie. Lorsqu’elle me promet de faire des efforts pour guérir si je l’autorise à partir tout de même, elle ne s’adresse pas au bon interlocuteur : elle demande l’autorisation du messager… qui n’a pas l’autorité de la lui promettre.
C’est de son propre corps qu’elle doit obtenir la permission, ou plutôt la tolérance, pour faire ce voyage. Et si les signaux de maladie restent présents malgré ses efforts, je ne pourrais pas lui conseiller de partir, aussi dur et intransigeant que soit ce conseil.