Avec les récents exemples de brillance de notre Cher Mr. Musk (ici, ici, et ), le Fediverse connaît un gain de popularité au travers de Mastodon encore jamais connu1. Serait-il, malgré lui, le héros prophétisé qu’attendaient les logiciels libres et les défenseurs de la privacy ? Ou plutôt, l’anti-héros faisant malgré lui prendre conscience aux citoyens de l’absurde de la situation ?

Ce serait la balle tirée dans le pied la plus onéreuse de l’histoire de l’humanité. À 43 milliards de dollars2 les 12 grammes de cartouche, il nous faut réinventer la pierre philosophale pour que celle-ci change l’or en plomb.

En tout cas, de part mon amour des logiciels libres et ma curiosité pour cette expérience à l’échelle de l’humanité, je me sens obligé de me joindre au réseau. Laissez-moi vous expliquer ce que je crois avoir compris de tout ça.

Le Fédivers, en deux mots

Fediverse

Fédération

Bref, pour en revenir au Fédivers (Univers Fédéré), c’est un réseau de réseaux. Plusieurs plateformes aux vocations diverses échangent utilisateurs et contenus. Mastodon est un équivalent de Twitter, mais ses utilisateurs peuvent interagir avec Pixelfed, l’équivalent d’instagram. D’autres membres de ce réseaux remplacent Facebook, Youtube, servent de blogs, de moteurs de rédaction d’articles scientifiques… Et les perspectives du réseau ne dépendent que de ceux qui veulent bien les développer.

Décentralisation

Autre point de différence, l’aspect décentralisé. Décentralisé, ça veut dit qu’il n’y a pas centre (duh…), aucun noyau, sur lequel le réseau repose. (Toute ressemblance avec les cryptomonnaies s’arrête là.)

C’est presque invisible aux yeux de l’utilisateur, mais chaque facette du réseau existe indépendamment des autres tout en y étant liée. Ces facettes, appelées instances, reflètent le contenu des autres instances à leurs utilisateurs. Il n’existe pas d’organisme central responsable du Fedivers, mais une assemblée de serveurs3 de toutes tailles échangeant posts, images, utilisateurs.

L’avantage est double : pas de censure, et plus de contrôle sur le contenu. Ça peut sembler paradoxal à première vue, et pourtant ! Démonstration.

  1. Admettons que je publie un contenu sur une instance, et que les modérateurs de cette instance le suppriment pour X raison. Rien ne m’empêche de le copier ailleurs, dans une autre instance. Si je me fais bannir de l’instance “Rouge”, je peux migrer facilement vers l’instance “Bleu”, emportant avec moi mes posts. Mes followers verront que mon adresse a changé, mais pourront toujours me suivre, sans efforts de leur part. Si je ne trouve aucune instance me convient, je peux (relativement facilement) créer la mienne.
    En ce sens, le réseau est difficile à censurer.

  2. Imaginons maintenant que la plateforme “Bleu” sur laquelle j’ai migré soit polluée de spam, que leur politique de contenu ne me plaise pas, ou que les sujets abordés ne m’intéressent pas. Rien ne m’oblige à rester mêlé à ces utilisateurs. En quelques clics à nouveau, me voila membre de l’instance “Violet” qui me ressemble bien plus. Mieux : si les administrateurs de “Violet” n’aiment peut-être pas non plus les contenus de “Bleu”, peut être vont-ils “dé-fédérer” les deux instances, bloquant ainsi le contenu de “Bleu” entier. Les utilisateurs de “Bleu” ne sont pas censurés, et j’ai choisi un réseau qui m’intéresse et me convient.
    En ce sens, le réseau offre un meilleur contrôle.

Résilience

Parce que chaque instance repose sur son serveur, le réseau est plus résilient tant aux défaillances technologiques qu’économiques.

Si un serveur part en flammes, le reste de la fédération sera toujours en fonctionnement. Si un serveur fait faillite, ou que son administrateur abandonne le projet, un autre le remplacera sans affecter le reste du Fedivers.

Quelques bémols

Aucun réseau social n’est parfait. Le cerveau humain n’a simplement pas évolué pour gérer la délicate balance des relations para-sociales4, les biais cognitifs des larges groupes, et dérives des échanges pseudo-anonymes5 sur la toile montrent de plus en plus les conséquences attristantes[^biais] qu’elles peuvent avoir sur nous autres Homo Sapiens.

Que ce soit en risquant de créer des chambres d’échos à travers des fédérations parallèles et hermétiques entre elles (aka défédération), en ne modérant pas éfficacement le harcèlement en ligne, ou en confortant le côté chauvin de ses utilisateurs, le Fedivers a ses défauts et ses dangers. Ce qui est certain, c’est que l’équilibre sera de plus en plus fragile et difficile à trouver avec le nombre croissant d’utilisateurs rejoignant le réseau.

Pourtant, je ne peut m’empêcher de croire qu’il est mieux armé que les pachydermiques GAFAM pour évoluer et se réformer au profit des gens, plutôt qu’au profit du profit.


  1. D’après Fedivers.observer ↩︎

  2. Source lesnumériques.com ↩︎

  3. Par exemple, la liste des serveurs Mastodon est très longue. Voici ici ↩︎

  4. Hoffner CA, Bond BJ. Parasocial relationships, social media, & well-being. Curr Opin Psychol. 2022 Jun;45:101306. doi: 10.1016/j.copsyc.2022.101306 ↩︎

  5. John Suler.The Online Disinhibition Effect. CyberPsychology & Behavior. Jun 2004.321-326. doi :10.1089/1094931041291295 ↩︎