Pendant mes deux années d’étude de médecine à la fac de Lyon Est, nous avons reçu des cours de SHS : Sciences humaines et sociales. C’était une matière un peu intermédiaire entre la sociologie et la philosophie, dont l’ambition était de nous éveiller aux aspects relationnels de la médecine, sous l’égide de la citation de Rabelais : “Science sans conscience n’est que ruine de l’âme”.

J’aimais bien cette matière. Bien que je n’ai pas été retenu au concours de PACES, je garde de ces amphithéâtres un bon souvenir, ainsi que quelques idées qui forgent encore aujourd’hui mon éthique médicale.

Récemment, une conversation sur Mastodon m’a rappelé un de ces éléments : la différence entre empathie et compassion, et leurs places dans la pratique médicale. J’ai eu envie d’en parler aujourd’hui.


Pour aborder les différence entre ces deux termes, revenons à leurs définitions.

📖 Empathie : n.f. (calque du nom allemand Einfühlung)
Faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent.
Larousse.fr

📖 Compassion : n.f. (latin ecclésiastique com-passio, souffrir avec)
Sentiment de pitié qui nous rend sensible aux malheurs d’autrui ; pitié, commisération. Larousse.fr

Deux termes à priori très proches, donc. Pourtant, la distinction entre les deux est fondamentale, m’a-t-on enseigné ; et les confondre met à risque le soignant d’épuisement émotionnel.

Dans l’empathie, on identifie, reconnaît, comprend les émotions de l’autre. Dans le cas d’une relation patient-soignant, il s’agit le plus souvent d’une compréhension de la souffrance ou des inquiétudes du patient par le soignant. Cette qualité est essentielle à un acte de soin, car elle permet d’inclure le patient dans sa globalité, de traiter une personne et non un symptôme.

Néanmoins, comprendre le patient ne veut pas dire s’identifier à lui, ni partager sa souffrance. Là, il s’agirait de compassion (souffrir avec). Le soignant qui compatit au lieu de comprendre aura beaucoup de mal à prendre le recul nécessaire à une décision médicale, mesurée et réfléchie. Il risque de se laisser entraîner par les émotions du patient.

« [l’empathie est] la capacité à se mettre à la place de l’autre pour comprendre ses sentiments et émotions […]. L’empathie repose sur notre capacité à reconnaître qu’autrui nous est semblable mais sans confusion entre nous-même et lui » (Decety, 20041)

Cette séparation entre le soignant et le patient, cette minime distance, protège le premier tant d’un torrent d’émotions que de l’épuisement de celles-ci, et donc le second des erreurs que cela engendrerait. Elle ne le prive pas d’une écoute attentive et bienveillante ! Mais elle protège ce qu’il est venu chercher : une attitude professionnelle et médicale.

En bref : trop de compassion et on se fait bouffer tout cru par la souffrance et la maladie qui nous entoure, omniprésente, étouffante. Trop peu et on devient froid et distant, désintéressé du patient qui s’en trouve déshumanisé. L’empathie représente l’entre-deux qui permet d’aller au devant de l’autre sans se faire engloutir par ses problèmes.


Je n’ai pas la naïveté de croire que l’on peut dresser ce bouclier mental et devenir invulnérable juste par ce qu’on à réfléchit deux minutes à l’étymologie d’un mot issu de la culture chrétienne. Bien sûr que l’on est influencé par le patient, par ses émotions, tout comme il est influencé par notre comportement et par ses attentes. Cela s’appelle le transfert et le contre-transfert, et est un élément inévitable de tout acte de soin.

Pourtant, distinguer compassion et empathie, se sentir légitime à préférer l’un à l’autre, voila un exercice qu’il faut cultiver. Il en va de notre santé mentale de médecin, et donc de la santé tout court de nos patients. Il me semble que tout les bons médecins que j’ai pu rencontrer jusqu’à maintenant utilisaient leur empathie pour naviguer la fine limite entre le désintérêt et l’étouffement.


  1. Decety J, Jackson PL. The functional architecture of human empathy. Behav Cogn Neurosci Rev. 2004 Jun;3(2):71-100. doi: 10.1177/1534582304267187. PMID: 15537986. ↩︎