Dans un effort de reprendre un peu de contrôle sur mes données numériques et ma vie privée digitale, je m’éloigne depuis plusieurs années des GAFAM.
Quitter ces grands écosystèmes hyper-intégrés qui gardent jalousement vos données (parfois, y compris même de vous !) n’est pas toujours facile, et demande parfois des sacrifices. Je vais revenir dans une série de billets sur les différents services avec lesquels j’ai finalement trouvé mon équilibre.
Aujourd’hui, je vais parler d’Ente.io, la solution que j’ai choisi pour remplacer Google Photo.
Google Photos : pourquoi l’utilisais-je, et pourquoi l’ai-je quitté ?
J’aime la photographie, et j’aime garder des souvenirs en photos. Je me servais de GPhotos pour avoir une copie sauvegardée de mes images, accessible depuis mes différents appareils, triés par date et facilement consultable via une interface simple et pratique. La synchronisation automatique, rechercher les photos par lieux sur une carte, puis plus tard la reconnaissance faciale m’ont été bien utiles.
Les petites fonctions de création d’albums papiers, de vidéos-diaporama et de photo-montages m’ont amusé également, bien que plus gadget.
J’ai même utilisé un temps Sylpheed qui était une application d’édition de photo développée par Google, et qui permettait de la retouche, notamment de luminosité et de couleurs.
Mais avoir toutes ses photos, les visages de sa famille, les lieux visités, les captures d’écran, de tickets de caisse… toutes ces données privées, scannées automatiquement par des robots destinés à dresser mon profile publicitaire et entraîner des IA de synthèse d’images, plus ou moins mal protégées par des condition d’utilisations toujours plus floues… Ça ne me plaisait pas. Il me fallait autre chose.
💡 Si vous n’êtes pas convaincu·e de la quantité monstrueuse d’informations que l’on peut obtenir d’une unique photo de vous, vous pouvez en faire l’expérience avec la campagne theyseeyourphotos.com. C’est à vous glacer le sang 😱
Tentatives infructueuses et tâtonnements
N’ayant pas d’appareil Apple, iPhotos était hors d’accès (je ne suis d’ailleurs pas convaincu que le service soit beaucoup plus privé que celui de Google12).
J’ai considéré un serveur perso auto-hébergé. Il y a 6-7 ans, j’ai essayé de maintenir un serveur perso chez moi, construit à partir de vieux composants informatiques récupérés d’autre ordinateurs. J’y avais installé Nextcloud pour l’utiliser à la place de Google Drive ou de Dropbox, et le service propose une galerie photo.
Je n’ai pas été convaincu par le service. C’était il y a plusieurs années, et il y a eu de nombreuses misés à jour depuis qui ont certainement étoffé les fonctions disponibles, mais à l’époque le logiciel était vraiment élémentaire. Pas de fonction d’édition, pas de reconnaissance faciale, une grande lenteur aux chargements des images. L’application mobile permettait une synchronisation des images, mais elle n’était pas très agréable à utiliser, assez buguée, et également limitée en fonctionnalités.
Mais pour moi, tout ces sacrifices était totalement justifiés par la protection des données, et j’aurai persévéré avec Nextcloud si je n’avais perdu l’entièreté de ma bibliothèque photo à plusieurs reprises et retenu la leçon suivante : administrer un serveur, même perso, c’est du boulot. Google Photo m’a sauvé la mise à l’époque, mais inacceptable pour moi de prendre le risque de perdre toutes mes données à cause d’une mise à jour bancale ou d’un défaut de matériel. Exit donc Nextcloud.
De la même façon, je n’ai pas été convaincu par les solutions de sauvegarde intégrées aux box wifi, à cause des manques de fonctionnalités et du même risque de défaut de matériel (j’avoue pourtant que les logiciels des Freebox sont plutôt faciles d’utilisation).
Je n’ai pas non plus voulu utiliser mon ProtonDrive (sur lequel je reviendrai une prochaine fois), car je ne voulais pas remplir mon espace disque par mes nombreuses photos, et que je n’aime pas trop l’application mobile pour ces dernières.
Finalement, j’ai découvert il y a près d’un an Ente Photo, et après une courte période d’essai j’étais séduit. Je le suis toujours autant aujourd’hui, alors qu’il viennent de publier la version 1.0 de leur logiciel.
Ente — la solution à mes problèmes
Ente a clairement pris tout ce qui fait de Google Photo un super service et s’est donné pour mission de le reproduire : Synchronisation automatique, suppression des photos sauvegardées pour libérer la mémoire de l’appareil, une interface efficace et complète, un tri des photos pas lieux, par date, les fonctionnalités d’édition des images et des métadonnées, tout y est.
On peut même partager des images avec ses proches au moyens de liens internets et récupérer leurs photos dans des albums partagés, y compris s’ils n’ont pas de compte Ente.
Ente fonctionne d’ailleurs sur Android, iOS, au travers d’un navigateur web, ainsi qu’avec une application sous windows, mac, et linux.
Mais si Ente fait la même chose que Google, quel est l’intérêt ?
Dans Ente, toutes vos données sont chiffrées de bout en bout : les images ET leurs métadonnée sont cryptés et inaccessibles par quiconque n’est pas vous. Même les administrateurs ne connaissent pas votre mot de passe, ne peuvent pas voir vos photos. Ente veut d’ailleurs dire “à moi” en Malayalam3.
Idée amusante et pourtant importante, Ente vous permet de définir un contact de confiance qui héritera de votre compte si vous deveniez inactif. Cela vous permet de léguer vos images en cas d’accident ou de décès4.
Récemment, ils ont ajouté à leur application les capacités de reconnaissances faciale. Je réconcilie cela avec mon rejet du machine-learning de Google, car le modèle de reconnaissance s’entraîne localement, sur votre PC, et les paramètre sont eux aussi chiffrés dans votre compte, et sont donc protégés5.
Dans mes essais, la reconnaissance n’est pas parfaite, et certainement loin d’être aussi fine que celle de Google ou d’Apple. L’interface utilisateur permettant de l’entraîner et d’associer de nouveaux visages est d’ailleurs assez mal fichue d’après moi. Mais cette fonctionnalité toute récente est promise aux améliorations.
Pour finir, pas besoin de croire l’équipe d’Ente sur parole quant à leurs belles promesses : les logiciels serveurs et clients sont tous Open-Sources. Vous pouvez même les télécharger et les déployer sur un serveur personnel, et Ente vous donne toutes les informations nécessaires pour le faire6.
Je n’ai pas personnellement choisi cette option, car cela réintroduirait les problèmes que j’ai rencontré avec Nextcloud mentionnés plus haut, mais c’est tout à fait faisable. J’ai donc opté pour la version payante, où je loue un espace disque à Ente pour s’occuper à ma place de la maintenance. Cela me permet aussi de financer cette initiative que j’admire.
Limites du système et aspects à considérer
Ainsi donc voila à mes yeux ce qui peut freiner certains utilisateurs : le prix. Voici un rapide tableau comparatif des services principaux, réalisé par mes soins en date de la rédaction de cet article :
Companie | Volume Gratuit | Prix annuel pour 200 Go |
---|---|---|
Ente | 10 Go | 60$/an |
Google Photo | 15 Go | 30 $ |
iPhotos | 5 Go | ~36€ |
Proton | 5 Go | ~48€ |
pCloud | 0 | 50€ pour 500 Go |
Nextcloud One | 0 | 180€ pour 500 Go |
ℹ️ Pour ce tableau comparatif, j’ai choisi le prix annuel, car il me semble cohérent d’envisager l’emploi de ce genre de services sur le long terme. J’ai aussi choisi le volume de 200 Go, car c’est une option proposé par la plupart des services et qui devrait être suffisante pour la grande majorité des utilisateurs.
On voit donc que Ente est 2 fois plus cher que GPhotos et iPhotos, et plus cher également que Proton Drive. Les prix sont dégressifs, donc louer un volume plus gros sera moins cher rapporté au giga-octet, mais c’est également le cas chez les concurrents.
Sachez tout de même que vous pourrez partager cet espace avec des proches : vous louez un volume disque (mettons 200Go), puis vous pouvez y rattacher plusieurs comptes qui le rempliront ensembles. Ainsi, votre famille et vos amis bénéficient de l’espace dont ils ont besoin, et peuvent contribuer à payer la note.
Ensuite, on voit que même si Ente propose la plupart des fonctions disponibles chez Google, il y a quelques différences.
- La reconnaissance faciale est clairement moins bonne : moins rapide et plus approximative, il faudra attendre quelques heures entre la prise de la photo et la détection d’un visage. Parfois, un visage ne sera pas détecté et ne pourra pas être assigné. Parfois aussi, il ne sera pas reconnu, et ce sera à vous d’aller manuellement l’étiqueter. Cette dernière possibilité est assez fréquente, même après avoir entraîné le modèle sur des centaines de photos d’une même personne.
- Les souvenirs proposés par Ente sont moins intelligents. Pas de vidéos générées automatiquement, ni de photomontages astucieux. Vous aurez les événements anniversaires, les lieux et les visages, et c’est tout. À vous de composer vos même vos souvenirs.
Rejoindre et Quitter Ente
Rejoindre Ente peut sembler intimidant : on accumule des photographies depuis des années, le transfert pourrait être laborieux !
Mais il ne l’est pas ! Google est le plus compliqué des services à quitter, car si vous demandez l’export de vos données vous les obtiendrez dans un série d’archives .zip
contenant en vrac toutes vos photos. La plupart des autres services vous les proposent en un seul dossier, également en vrac.
Ente vous propose d’importer toutes ces images d’un coup, relire et trier les méta-données, et de recréer votre bibliothèque à partir de cela, de façon automatique. Il y a même un tutoriel pour vous aider.
Quand à quitter Ente, c’est également très simple. L’application bureau (Windows-Mac-Linux) vous permet de tout télécharger et sauvegarder d’un coup, ou même de synchroniser petit à petit vos images sur votre PC au fur et à mesure que vous les prenez, pour toujours en garder une copie sur votre ordinateur.
En conclusion
Ente est vraiment un super service. Fiable, fonctionnel, aligné avec mes valeurs de Végan Digital, je l’utilise sans réfléchir car je sais qu’il fonctionne bien. Toutes les options dont j’ai besoin sont présentes et assez aboutties pour être utilisées au quotidien.
Le seul point qui peut coincer est le prix de l’espace disque, presque deux fois plus cher que Google et Apple. Mais si c’est là le prix du respect de mes données personnelles et de l’ouverture du logiciel tant dans son code source que dans ma liberté à le quitter, je pense que c’est un sacrifice qu’il faut a minima considérer.
En tout cas, mon choix est fait, et depuis plus d’un an.
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https://www.nytimes.com/2021/08/19/opinion/apple-iphone-privacy.html ↩︎
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https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/donnees-personnelles-apple-sous-le-coup-dune-sanction-symbolique-de-la-cnil-1893977 ↩︎
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Source: Interview avec le CEO d’Ente (en anglais 🇬🇧) ↩︎
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Source: https://ente.io/blog/legacy/ 🇬🇧 ↩︎
-
Source: https://ente.io/blog/machine-learning/ 🇬🇧 ↩︎
-
Source: https://ente.io/blog/self-hosting-quickstart/ 🇬🇧 ↩︎