Aux urgences du CHU, les délais d’attente pour voir un médecin étaient incroyablement longs. Pires encore pour attendre les résultats des prises de sang et des scanners.

Pourtant, plutôt que d’être tendus et nerveux, un groupe insolite de patients s’est regroupé au milieu du couloir, prenant soins de laisser un passage aux infirmières, et a commencé à bavarder. Insolite puisque composé d’une grand-mère démente, un homme de 50 ans avec un important retard mental, et un autre plus jeune hospitalisé après avoir consommé de l’alcool au point de formuler des idées suicidaires. Tous trois se sont spontanément rassemblés, tirant des chaises en cercle, et parlaient comme on peut discuter au parc ou au bar.

Leur conversation a duré bien une heure, touchant tous les sujets, des mouvements de grèves aux maisons de retraites, en passant par des recettes de cuisines et (bien sûr) les délais d’attente à l’hôpital. Ils étaient souriants et détendus, et souriaient aux infirmières qui virevoltaient autour d’eux.

Si elle ne signifie rien, dit le Roi, cela nous épargne un monde d’ennuis, vous comprenez ; car il est inutile d’en chercher l’explication. Lewis Carroll

Le tableau était d’autant plus curieux qu’aucun d’entre eux n’était capable de s’exprimer normalement. La dame, par sa démence, répétait en boucle les mêmes phrases et passaient du coq-à-l’âne. Le monsieur cinquantenaire avait des difficultés d’élocution et manquait de vocabulaire. Le dernier semblait en comparaison une perle de sagesse, et il s’accommodait sans difficulté des incohérences et des bizarreries des discours des deux autres, ne semblant même pas les remarquer.

Un observateur sourd n’aurait rien remarqué d’anormal, un aveugle n’aurait rien compris à leur conversation décousue.

Cet étrange colloque se tenait donc au milieu du couloir, et les autres patients autour d’eux les écoutaient parler, souriant discrètement, manifestement amusés par l’absurde de la scène.

Surprenamment, leur présence a rendu bien plus tolérable leur attente et celle des autres.